Mais pourquoi le ski est-il mal mené?
Certes le réchauffement climatique est visible, mais on parle plus d’incidents climatiques (donc ponctuels). De la neige rassurez-vous, il y en aura toujours, mais pas forcement au moment où le consommateur et l’exploitant la voudront. C’est donc plus un problème d’incertitude à gérer que de manque de neige.
Donc la vraie question à se poser, est comment gérer l’incertitude de la neige dans le tourisme de montagne?
Commençons par identifier les caractéristiques actuelles du tourisme de montagne:
- Très grande saisonnalité. En fonction des station, le chiffre d’affaire des remontées mécaniques peut représenter jusqu’à 95% en 4/5 mois d’exploitation contre 5% en à peine 2 Mois d’été. Pour les hébergeurs (et on rappelle ici qu’il n’y a pas de développement touristique sans hébergement) on réalise environ 60% de notre chiffre sur 3/4 mois d’hiver et environ 40% sur 4 mois répartis entre le printemps, l’été et l’automne.
- Problème de sur-tourisme: Bien évidemment, avec une concentration pareil, les infrastructures peuvent difficilement absorber dans la qualité, les pics de fréquentation. Et on sait bien qu’un client mal accueilli, qui fait la queue, qui à l’impression de se faire piéger sur les prix, ne retiendra pas un bon souvenir de son séjour. Les 4 principaux critères que retiennent les clients pour un mauvais séjour sont: l’accueil de la population locale / la foule, la queue, la cohabitation / le sentiment d’insécurité / la qualité de l’hébergement (chiffres issues d’une étude d ‘Atout France)
- Nécessité d’investissements démesurés. Pour que l’infrastructure absorbe au mieux l’activité, et que les stations répondent présentes pour les 4 mois d’hivers, il faut des million d’euros, tous les ans. Et c’est forcément avec de l’argent publique que c’est possible. Alors est-ce que ces investissements sont rentables pour un territoire, surtout dans les petites stations. En 1964, Mr Henri Dinguirard écrivait (Conseiller général du canton de St Beat et fondateur de la station du Mourtis): « Le Comminges est malade, le Comminges se meurt. Chaque jour une famille quitte notre région, qui ne lui assure plus de ressources suffisantes et s’en va à la ville, le cœur gros d’abandonner le cadre de toute une vie… », « Ni l’agriculture, ni l’industrie ne réussissent à faire vivre notre région. Un seul espoir: Le Tourisme… » « Il faut créer une station intelligente, où tout y est équilibré pour le séjour durant les 4 saisons… » On en est où aujourd’hui, après des investissements de centaines de millions d’euros par la collectivité, pendant 60 ans: dynamique économique? Qualité de vie sociale? Tourisme 4 saisons? Préservation de l’environnement? On peut donc raisonnablement se poser la question du bien fondé de l’utilisation d’autant d’argent publique. Certes, ca permet de maintenir à bout de bras une économie rural très fragile… mais quand passons nous à l’étape suivante, afin de donner le choix à nos enfants, de rester dans leur vallée natale avec un avenir de vie meilleure, ou bien de partir vers d’autres contrées avec une vrai plus-value construite dans l’enfance, dans un environnement préservé.
Maintenant, qu’en est-il de la promesse faite au consommateur?
Il n’y a qu’à scanner les documents touristiques, sites internet, cartes postales… du blanc et du bleu! En gros, venez chez nous, il neige la nuit et grand soleil le jour… Comment pouvons tenir cette promesse aussi longtemps, avec ce mensonge? La montagne est belle toute l’année, quelques soient les conditions. Osons valoriser notre forêt avec une brume mystique… mettre en valeur la contemplation possible de nos paysages d’automne ou de printemps… proposer des activités neige l’hiver hors ski… proposer la montagne comme un lieu de ressourcement, d’activités de pleine nature bonnes pour la santé, de refuge climatique… de lieu de retour à l’essentiel… du moins mais mieux! Cette promesse là on peut la tenir! Et quand il y aura de la neige, de toutes façons les gens viendront faire du ski si le service est proposé.
Notre économie peut-elle dépendre de la raréfaction de la ressource? L’eau pour certains, le froid pour d’autres, ou encore le soleil, la forêt… à tous prix! Donc tout d’abord nous devons protéger, voir régénérer l’environnement dans lequel nous sommes. C’est la responsabilité que le tourisme doit endosser. Et ensuite, nous devons ne pas construire notre offre sur l’utilisation d’une ressource que nous ne maitrisons pas, car la pression du consommateur nous poussera à réaliser des installations irrationnelles (salle de ski en neige artificielle, utilisation mécanique des glaciers, disneylandisation matériel de nos espaces naturels…). Donc non seulement nous devons réduire notre impact environnemental, mais aussi le préserver voire le régénérer… un nouveau tourisme doit voir le jour, le tourisme régénératif.
Puisque que notre environnement naturel est sain, couplé à une pratique sportive douce, luttant contre la sédentarité (LE FLEAU SANITAIRE DE NOTRE EPOQUE), nous devons le rendre accessible au plus grand nombre. Hors, d’un côté le pouvoir d’achat est durement touché, d’un autre côté nos charges d’exploitation mettent en péril nos équilibres économiques et enfin le fléchage des subventions nous pousse à monter en gamme, alors comment la montagne peut rester un lieu simple et accessible, tout en étant attractif?
Pour finir, on peut aborder la difficulté de recrutement que nous avons en fournissant des contrats précaires. Nous ne pouvons pas assurer une durabilité sociale de nos emplois et une qualification professionnelle nécessaire pour mieux accueillir nos clients.
Avant d’aborder les alternatives, nous pouvons nous poser la question des responsabilités.?
4 acteurs gravitent autour du tourisme de montagne, et j’ai comme une sensation, où on est tous dans la même locomotive en amont du pont en ruine depuis plus de 20 ans… et on remets du charbon dans la loco!!
- Tout d’abord il y a le consommateur bien sûr, le seul a réellement décider de notre avenir.
- Il y a aussi le professionnel, qui doit construire son offre dans cet écosystème
- Ensuite il y a la population locale, qui vit dans cet environnement et qui souhaite un avenir meilleur pour ses enfants.
- Et enfin il y a l’institutionnel qui doit donner le cap, et flécher les investissements durables.
Commençons par le consommateur: aujourd’hui, la tendance majoritaire est de partir en vacances en même temps, au même endroit pour faire le même selfie. C’est probablement caricatural mais tellement vrai! Il faut donc inviter le touriste à faire un pas de côté, vivre des expériences différentes, saines et responsables. Il ne faut pas avoir peur de se passer d’un consommateur qu’on ne souhaite pas pour notre territoire, même s’il représente la majorité, ou le pouvoir d’achat.
Le professionnel, c’est celui qui va construire l’offre. Il doit être dans la même lignée que le projet territorial. Il doit penser service, mutualisation, performance d’usage, il doit toujours se poser la question de ce qui est bon pour cet écosystème. Par ricoché, ce qui est bon pour le territoire, sera bon pour lui. Il doit chercher à lisser son activité pour pouvoir fournir de l’emploi durable, former ses collaborateurs, les faire progresser, mettre ses meilleurs éléments aux places les plus stratégiques… Toutes ses démarches seront appréciées par le consommateur, qui sera sensible à ces actions.
La population locale. Aujourd’hui elle subit le tourisme intrusif. Alors d’un côté nous devons produire un tourisme moins agressif et d’un autre inciter la population locale à participer à l’accueil et valoriser son propre territoire toute l’année. Les habitants doivent devenir des ambassadeurs de la destination, de cette nouvelle approche du tourisme… et ce pour l’avenir de leurs enfants. On ne peut plus croire que travailler même à fond 3 ou 4 mois l’hiver puisse permettre de vivre correctement toute l’année. Cette illusion qu’a fait croire le tourisme d’hiver, les a amenés à la précarité dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui.
L’Institutionnel. C’est celui qui doit impulser la direction à prendre. Celle qui est bonne pour son territoire. Et pour cela, il faut un projet clair, durable et responsable. Malheureusement, les territoires de montagne sont depuis toujours un outils politique avant d’être un outil de développement économique. Certes ils sont obligés de soutenir cette activité pour un équilibre fiscal plus solide. Mais en l’absence de projet durable et responsable on continuera par clientélisme à financer des investissements pour le ski et surtout communiquer sur l’activité générée par ces investissements. Hors aujourd’hui, les clients viendront tout seul quand les conditions seront bonnes. C’est sur le reste qu’il faut mettre l’accent et tout le monde en sera bénéficière.
Mais face à ces enjeux, y-a-t-il réellement des alternatives?
Concernant les infrastructures, c’est bien à la collectivité de les assumer. Mais pour la montagne, même si les recettes seront moins performante que pour le ski, c’est sur des investissements utiles toute l’année qu’il faut investir. Et ces investissements seront beaucoup moins lourds que ceux réalisés pour le maintien du ski à tous prix. Ce qui, couplé à une communication spécifique, doit permettre de trouver un certain équilibre.
Justement, parlons communication. C’est trop facile de communiquer sur le ski, et surtout ça empêche d’engager la transition. Puisque lorsque la neige est là les gens viennent naturellement, c’est bien sur la montagne toute l’année qu’il faut communiquer. Ca doit permettre de lisser l’activité, moins l’hiver et plus toute l’année.
Ne peut-on pas bonifier les produits positifs de notre offre, ceux qui pour nous sont bons pour notre territoire. Sans aller sur un modèle excessif bonus malus, les produits « ski » (qui génère aujourd’hui des impacts négatifs) devraient financer une partie des produits sans ski et sur le reste de l’année, qui eux ont des impacts plus positifs. Il faut donc sortir d’une approche comptable analytique, qui nous mène droit dans le mur… ou plutôt vers le pont 😉
Sans aller vers une ultra matérialisation du reste de l’année (ce qui reviendrait à faire la même chose qu’on a fait pour l’hiver…), il est nécessaire de se diversifier. Car le fond du problème, est de garantir le maintien du niveau des recettes des exploitations. Finalement pour une station, on devrait pouvoir vendre un forfait plusieurs mois à l’avance, sans se soucier qu’il y ait de la neige ou pas, à conditions d’avoir le change en cas de pluie ou de manque de neige, ça sécuriserait l’exploitation des remontées mécaniques, des commerçants et des consommateurs… et au final, l’institutionnel et la population locale.
Un jour viendra …
François GILLAIZEAU
*image d’illustration